et la suite du dossier alors ....
Des graffitis aux « oeuvres d'art »
LE RAPPORT des RG différencie graffitis, tags et graffs. Les premiers sont considérés comme une forme à part entière de violence urbaine. Il s'agit d'inscription sur les murs ou mobiliers urbains, parfois effectués avec des marqueurs indélébiles, qui se distinguent par leur caractère violent.
Ils visent des institutions, communautés ou personnes physiques. Les tags correspondent, eux, à l'inscription d'un nom ou d'une lettre stylisée : il s'agit de la signature de l'auteur ou de la bande à laquelle il appartient. C'est souvent un code illisible pour le profane. Enfin, les graffs constituent une forme plus stylisée, représentant des paysages, calligraphies ou personnages. Ils s'inscrivent davantage dans une logique artistique que de transgression sociale. « On retrouve dans ces groupes une éthique stricte, où il y a une volonté d'affirmer une identité propre, explique un spécialiste. De braver l'interdit sans que cela ait des conséquences sur l'organisation de la société. » Ces distinctions se retrouvent dans le profil des tagueurs : les auteurs de graffitis sont à 90 % des garçons, entre 15 et 19 ans, qui appartiennent à des catégories socioprofessionnelles défavorisées. Les auteurs de graffs sont plus âgés et ont des niveaux d'études beaucoup plus élevés (bac + 4 ou + 5).
C.D.
Le Parisien , jeudi 17 mars 2005
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La SNCF et la RATP contre-attaquent
COURANT ETE 2005, un procès hors norme va se dérouler à Versailles : celui d'une soixantaine de tagueurs soupçonnés d'avoir commis des dégradations estimées à 1,5 million d'euros, principalement dans les trains. « Une première mondiale », souligne un policier. L'enquête, menée par la brigade des chemins de fer (BCF), a en effet révélé l'existence d'un véritable réseau, implanté dans toute l'Europe (Belgique, Allemagne, Italie, Pologne...).
Une dizaine de bandes, qui se lançaient des défis dans différents pays, vont se retrouver à la barre du tribunal. Selon une source policière, une centaine de groupes très structurés séviraient actuellement en France. Cette audience est attendue avec impatience par la SNCF, qui a décidé de porter plainte systématiquement : « Une politique visant à montrer aux tagueurs qu'il n'y a pas d'impunité, d'autant que ces dégradations coûtent extrêmement cher, souligne Marie-Christine Cottin, responsable de la mission propreté. Le tag est le premier degré de la violence. Nous avons mené un sondage qui démontre que 92 % des Français considèrent les tags comme une dégradation de biens et de lieux ; 75 % d'entre eux assurent que cela crée de l'insécurité. » La SNCF a poursuivi récemment un vendeur de bombes de peinture, qui faisait la publicité de sa boutique avec des photos de voitures taguées...
Du film protecteur
Une autre audience se tiendra le 25 mars à Meaux (Seine-et-Marne) où comparaîtront quatre jeunes, surpris bombes à la main en train de taguer trois wagons en gare SNCF de Coulommiers. « Ces tags constituent une forme d'agression visuelle, souligne un enquêteur. De plus, les tagueurs se mettent en danger eux-mêmes. » Malgré la sécurisation de sites sensibles, ceux-ci sont prêts à tout pour pénétrer dans les hangars de la SNCF : plusieurs d'entre eux ont été blessés par électrocution. Un autre procès est particulièrement attendu : une demi-douzaine de jeunes vont être jugés pour avoir utilisé en région parisienne des tags réalisés avec un acide, importé du Mexique. L'arme judiciaire n'est pas la seule utilisée pour faire reculer le phénomène : plusieurs municipalités (Lille, Paris, Lyon...) disposent de brigades antitags. A Montpellier, la société Hexis s'apprête à équiper les rames de métro et du TER d'un revêtement antitags, composé d'une fine pellicule en PVC transparent. Un procédé homologué le 28 octobre dernier par la RATP après avoir subi une batterie de tests grandeur nature sur les lignes 3 et 4 ; 400 000 m 2 de films vont être livrés en 2005 à la RATP. La politique menée par certaines mairies consistant à « offrir » des murs aux tagueurs n'a jamais porté ses fruits, car elle les prive de l'essentiel : le plaisir de braver un interdit.
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Charles Rouquette 47 ANS ENSEIGNANT MONTGERON (91)
« C'est de l'incivisme, un manque total de respect d'autrui et des biens collectifs. Mais je ne suis pas pour infliger à ces vandales une amende ou de la prison. Il faudrait les obliger à nettoyer une rame entière de RER.
On dit que les tags sont une forme d'expression pour des jeunes de quartiers défavorisés. J'ai pourtant vu à l'action des ados qui n'avaient pas du tout l'air défavorisés ! »
Pascal Méjard 20 ANS ETUDIANT SAINT-OUEN (93)
« Le graff est avant tout un art urbain. Il est donc normal que les graffeurs créent dans des lieux publics. Mais ceux qui taguent dans le métro sont de plus en plus des vandales qui ne font qu'inscrire des insultes. Ces dégradations restent tout de même de petits délits et font partie du paysage urbain. Et quand il s'agit de vrais dessins, je préfère largement ça aux affiches publicitaires ! »
Elsa Boumendil 32 ANS SECRETAIRE DE DIRECTION SAINT-GRATIEN (95)
« Ces tags sont une vraie pollution visuelle. Ils me mettent mal à l'aise, j'ai l'impression de voyager dans un environnement sale. Je comprends que certaines personnes aient besoin d'exprimer leur mal-être, leurs revendications, de dénoncer des injustices. Mais les tagueurs n'ont pas choisi le bon moyen d'expression. Ils se mettent à dos les voyageurs et leur message ne passe pas. »
Jean-Ch. Pellevoisin 34 ANS CHOMEUR BORDEAUX (33)
« J'ai l'impression qu'il y en a plus en région parisienne qu'en province. Mais je n'y prête plus attention. Ça fait partie du d
écor. Quand il s'agit d'insultes, je considère ces tags comme de la dégradation. Quand les dessins sont plutôt jolis, c'est sympa. En revanche, j'avoue que je n'y vois pas la révolte ni le cri de colère contre la société que beaucoup disent vouloir faire passer. »
Louis Prunel 29 ANS RESPONSABLE MARKETING PARIS (XVII e )
« C'est un excellent moyen d'égayer les murs gris et tristes des gares ou des tunnels du RER et du métro. La SNCF et la RATP devraient organiser des contrôles de façon intelligente, proposer des concours avec des graffeurs et pourquoi pas faire voter les voyageurs. Mais les tags n'ont rien à faire dans les trains, qui ont leur propre design. C'est très angoissant pour les voyageurs. »
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« Le plaisir de faire quelque chose de risqué »
URLE, graffeur de 20 ans à Marne-la-Vallée
URLE, C'EST sa signature. A 20 ans, ce tagueur de Marne-la-Vallée ne revit qu'à la tombée de la nuit. Etudiant en arts plastiques dans une université parisienne, il prend tous les risques avec une bande de passionnés comme lui.
Son arme : les bombes de peinture. Beaucoup de policiers du secteur seraient prêts à tout pour l'épingler. Parmi ses supports préférés : la bonne vieille ligne de chemin de fer qui expose mieux que personne les oeuvres interdites au regard des voyageurs. Il a accepté de nous faire partager ses montées d'adrénaline. « J'ai commencé à taguer vers 16 ou 17 ans. L'influence des copains et aussi de mon frère qui aimait le graff. » Et puis, c'est aussi l'âge où on a envie de provoquer. « Je signe Urle à cause des lettres qui me plaisent, explique le jeune homme, mais aussi en signe de résistance. » Résistance, le mot est lâché. « Taguer, c'est faire une démonstration de ce qu'on peut réaliser en quatrième vitesse. C'est mieux d'être en groupe. On partage le stress et ça crée des liens. » Urle reprend sa respiration : « T'es concentré sur ton truc, mais tu écoutes en même temps et tu sais où courir en cas de besoin. »
Une façon de se défouler
Car il faut bien le reconnaître, tagueurs et policiers jouent au chat et à la souris. « Si on ne courait aucun risque, je ne sais pas si on le ferait. Une année, mes parents sont venus me chercher au commissariat. Ensuite, je les ai emmenés sur les sites pour qu'ils comprennent ce que tout ça représente pour moi. Et puis, j'ai changé de signature, bien sûr. » Des soirées destinées à se défouler, comme d'autres vont danser en boîte ou courir un marathon. « Ça se décide à l'arraché, souligne Urle. On prend notre vélo et on file faire quelque chose d'un peu dangereux. Comme de l'escalade. Et tu n'existes que parce que tu as réussi...
L'objectif : aller au-delà de ses limites en faisant de son mieux en un minimum de temps. C'est un autre monde. » Un monde dans lequel on recherche aussi la reconnaissance de ses pairs. « Les graffeurs constituent une petite société de gens connus et respectés par toute une génération, explique fièrement le jeune homme. Dans le coin, il y a des grosses pointures : les NT, Rove, Shaw ou encore Wisk ont un style qui accroche bien. Ils sont super-présents partout. Le but étant de se faire connaître, eux, ils ont réussi », souffle-t-il admiratif.
Ses supports préférés : les murs qui n'appartiennent à personne comme ceux des friches industrielles. « L'idéal, c'est un bon vieux mur antibruit d'autoroute, souligne-t-il les yeux brillants. Mais attention ! Il faut être très rapide, car on n'est jamais à la merci d'une patrouille de police ou d'un témoin gênant. » Urle aime aussi les lignes de train. « J'ai une préférence pour la ligne A du RER. Ses poteaux, ses murs, tout ce que les voyageurs voient bien. Et là, en plus, tu as tout ton temps. Et quand tu repars, tu dis : ouais... ce qu'il est beau ! » Mais attention, Urle se refuse à taguer les rames de trains. « C'est vachement risqué. Je connais des mecs qui remboursent leurs dégâts depuis des années. »